Macron et les Balkans : un « non » qui veut dire « peut-être »?
Le refus d’Emmanuel Macron d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord fin 2019 était inattendu, vu du reste de l’Europe, mais assez prévisible, vu de France. Il découle en partie de considérations politiques périphériques dont les pays des Balkans occidentaux sont les victimes expiatoires, mais aussi de problèmes plus structurels qui doivent être abordés dans la perspective du sommet de Zagreb de mai 2020.
Du côté des « bonnes nouvelles », il convient de souligner que les pays des Balkans occidentaux sont les victimes collatérales de problèmes internes et européens qui les dépassent et qui pourraient donc être résolus en dehors d’eux et à court terme.
Problème n°1 : le manque de popularité d’Emmanuel Macron après la crise du « gilet jaune » et au moment d’une réforme audacieuse des retraites.
Cette faiblesse l’a obligé à abandonner « l’esprit de conquête » vanté pendant sa campagne électorale et à s’aligner sur tous ceux qui préféraient une « petite Europe » davantage sous contrôle français. Tout geste positif de la France en matière d’élargissement sera politiquement coûteux, y compris pour son nouveau président.
Emmanuel Macron, millésime 2017, aurait justifié l’ouverture de nouvelles négociations d’adhésion sur ce thème : « La France n’aura pas peur d’ouvrir des discussions avec de très petits pays, qui ne nous rejoindront que dans 10 ans… » – mais ces temps sont révolus… Si la popularité du président Macron augmente à nouveau, il lui sera peut-être plus facile d’adhérer à la perspective d’une adhésion à aussi long terme, d’autant plus qu’il pourra rappeler que celle-ci n’est pas automatique (comme le montre le cas de la Turquie).
Problème n°2 : le déficit d’influence d’Emmanuel Macron au niveau européen, tant du point de vue de ses forces politiques et partisanes et de ses alliés que du caractère très ambitieux de ses objectifs pour la « refondation » de l’UE.
C’est aussi ce relatif manque d’influence qui a récemment poussé Emmanuel Macron à rechercher des leviers d’action afin d’obtenir des » packages » plus favorables à la réalisation de ses projets. Ainsi, le Président Macron a clairement indiqué que son accord pour l’ouverture des négociations d’adhésion était conditionné à l’adoption d’un « cadre financier pluriannuel 2021-2027 » plus ambitieux d’une part, et à la mise en place d’une « Conférence » pour réformer et approfondir l’UE avant de l’élargir d’autre part.
S’il est satisfait de ces deux aspects au cours du premier semestre 2020, il n’est pas exclu qu’il lève son veto à l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord. Emmanuel Macron pourrait être d’autant plus tenté de renoncer à son « non » qu’il sait que ses partenaires européens pourraient également lui faire payer son objection de cavalier seul, notamment en renforçant leurs positions sur de nombreux autres sujets chers à la France.
Mais il faudra alors lever les réticences des Français (mais aussi des Danois, des Néerlandais, etc.) à traiter les enjeux des négociations d’adhésion stricto sensu.
Juste après le non de Macron, un document de travail franco-néerlandais visant à réformer l’ensemble du processus d’adhésion à l’UE a été soumis à la discussion au niveau communautaire, proposant une approche moins juridique (par chapitre) et plus politique, mais aussi un meilleur soutien aux efforts des pays voisins de l’UE, qu’ils soient ou non sur le point de devenir membres. Maintenant que la Commission européenne a promu une « méthodologie d’élargissement révisée » début février, Emmanuel Macron pourra prétendre que ces objections ont été entendues, en tout ou en partie, afin de pouvoir accepter de changer d’avis au printemps prochain.
Dans cette perspective, il reste essentiel que les autorités nationales des pays candidats donnent encore plus de garanties sur leur capacité à réformer radicalement leur pays en termes de respect de l’Etat de droit, de préservation du pluralisme démocratique, de lutte contre la corruption, de répression du crime organisé et des trafics de toutes sortes… La Commission européenne a déjà déclaré que les progrès réalisés sur ces registres étaient suffisamment importants pour justifier l’ouverture de négociations d’adhésion dans les deux cas les plus évidents, l’Albanie et la Macédoine du Nord. Tout nouveau progrès qui pourrait être réalisé dans les prochains mois ne pourra que bénéficier à la cause des pays candidats en France et bien au-delà.
Emmanuel Macron pourrait plus facilement plaider en faveur de l’ouverture aux Balkans occidentaux en invoquant la menace des influences russes, chinoises, turques et même américaines dans la région, et en soulignant ainsi la dimension géopolitique des perspectives d’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord. Mais il ne peut ignorer complètement ces perspectives d’adhésion dans leur dimension nationale et communautaire, et donc politique. C’est également sur ce registre qu’un résultat plus favorable devra nécessairement être obtenu dans les prochains mois, grâce aux efforts continus de la Présidence croate du Conseil – contribuant ainsi à transformer le « peut-être » automnal d’Emmanuel Macron en « oui » printanier.
NB : Ce post de blog est la reproduction d’une tribune publiée en Macédoine par Nova TV, en Serbie par Danas et au Monténégro par Antena M.