Dans L’Opinion : Jupiter et Chronos, l’Europe contrariée d’Emmanuel Macron
SeeYves Bertoncini, Président du Mouvement Européen – France, signe une tribune intitulée « Jupiter et Chronos, l’Europe contrariée d’Emmanuel Macron » dans le journal L’Opinion. Il analyse notamment la pression européenne pour une plus grande solidarité française sur l’accueil des migrants et les réticences au projet de réforme de la zone euro porté par Emmanuel Macron.
Retrouvez cette tribune parue dans L’Opinion le 27 juin 2018 et en format PDF.
L’ambitieuse « refondation » de l’UE promue par Emmanuel Macron est confrontée à des difficultés de calendrier qu’on ne peut seulement imputer à la mise en place laborieuse des coalitions gouvernementales allemande, puis italienne. Ces difficultés découlent de contradictions politiques et chronologiques que le Conseil européen des 28 et 29 juin devrait mettre en évidence puisqu’il traitera à la fois de la zone euro, du traitement des demandeurs d’asile et de la perspective d’adhésion de six pays balkaniques.
L’insistance d’Emmanuel Macron à obtenir rapidement une nouvelle réforme de la zone euro (budget spécifique, parlement dédié, etc.) le confronte à une première contrariété chronologique et politique. Dès lors qu’aucune crise financière internationale ne vient clairement justifier l’urgence d’une telle réforme, Emmanuel Macron en est réduit à faire valoir, outre l’inachèvement de la zone euro, la « grande transformation » qu’il a engagée en France.
L’Europe ne s’est pas construite en un jour, elle doit être sauvegardée, consolidée et approfondie – à défaut de pouvoir être « refondée »… Patience et constance, monsieur le Président !
🇪🇺🗞️ La tribune de notre Président @ybertoncini ds @lopinion_fr https://t.co/07jLbdLjzO pic.twitter.com/PLFg9tUBWZ
— Mouvement Européen – France (@MouvEuropeen_Fr) 27 juin 2018
Après avoir bénéficié d’un indéniable « effet placebo », le Président a de fait mis en œuvre d’importantes réformes structurelles depuis son élection (fiscalité du capital, marché du travail, services ferroviaires, etc.), en pariant qu’elles produiront des résultats à moyen terme. A ce stade, le « Réveillez-vous, la France a changé ! » qu’il a lancé aux Allemands à Aix-la-Chapelle relève cependant de la méthode Coué. Vue de Berlin, de Bruxelles, de La Haye et d’ailleurs, la France est certes incarnée par un jeune Président prompt à « aller au tableau », mais elle affiche les résultats d’un élève du fond de la classe. Ses performances économiques et sociales sont en effet toujours très en dessous de la moyenne européenne et, surtout, de son potentiel : 23ème sur 28 en termes de prévision de croissance 2018 (2%, d’ailleurs en voie d’être révisé à la baisse) ; 23ème sur 28 en termes de taux de chômage (9,4% en 2017) ; 22ème sur 28 s’agissant de sa dette publique (98% du PIB) ; et même 25ème sur 28 au regard de son déficit public 2017, enfin ramené sous les 3% – alors que 12 pays de l’UE ont dégagé des excédents budgétaires l’an dernier.
Il n’était dès lors pas forcément très opportun de demander à l’Allemagne et aux autres pays européens de promouvoir un parachèvement bienvenu de la zone euro en critiquant le « fétichisme » pour les excédents budgétaires… Et pas non plus très raisonnable d’espérer obtenir des changements radicaux à brefs délais – d’autant moins que beaucoup a déjà été obtenu par Nicolas Sarkozy, puis par François Hollande, au grand déplaisir de nombreux Allemands et Européens (hyper-activisme de la BCE, assistance financière à la Grèce ou l’Irlande, application ultra-flexible du pacte de stabilité, union bancaire, etc.). Qu’un budget de la zone euro puisse être crée, fut-ce à partir de 2021, est très positif, quand bien même son contenu et son montant restent à préciser : est-il bien certain que l’impact concret de cette avancée soit à la mesure de l’énergie politique dépensée pour la promouvoir à marche forcée ?
L’empressement d’Emmanuel Macron à réformer la zone euro contraste avec son attentisme apparent vis-à-vis du défi migratoire, également à l’agenda du Conseil européen des 28 et 29 juin. L’afflux de demandeurs d’asile et de migrants vers l’Europe et la révision programmée du « Règlement de Dublin » placent de fait la France face à une autre contradiction politique et chronologique, que les tensions franco-italiennes et CDU-CSU ont avivée.
Notre pays peut se prévaloir d’être en 1ère ligne pour la gestion des conflits ayant suscité d’importants flux de réfugiés, dans la zone irako-syrienne, en Libye et au Sahel – même s’il ne peut aisément occulter, notamment aux yeux des Italiens, que c’est lui qui a contribué à susciter le chaos Libyen… Comme l’ensemble des pays de l’UE, il est soucieux d’augmenter l’efficacité des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen (avec le renforcement du Corps européen de garde frontières), mais aussi d’améliorer le taux de réadmission des migrants non éligibles au droit d’asile, en concluant des partenariats avec leurs pays d’origine et de transit. Vue d’Europe, la France est cependant considérée comme un pays qui n’est nullement confronté à un afflux massif de réfugiés, ni hier, ni aujourd’hui. Pendant la crise des années 2015-2017, elle a enregistré 0,35 demandes d’asile pour 100 habitants, bien en dessous de la moyenne européenne de 0,6 et, plus encore, du taux enregistré en Hongrie et en Suède (2 demandes pour 100 habitants), mais aussi en Allemagne et en Autriche (1,6 chacune). La France n’a en outre « relocalisé » que 635 demandeurs d’asile en provenance d’Italie et un peu moins de 5 000 venus de Grèce – très en-deça, là aussi, des « 30 000, et pas un de plus » jadis évoqués par Manuel Valls…
Elle peut donc difficilement se soustraire aux reproches européens pointant son déficit de solidarité en matière migratoire, quand bien même elle peut aujourd’hui redouter les « mouvements secondaires » de demandeurs d’asile déjà présents sur le sol européen. Alors que la « crise migratoire » est très largement endiguée et qu’elle s’est transformée en crise politique, la France ne pourra durablement camper sur l’idée que c’est d’abord aux pays de 1ère entrée, donc aux pays du Sud, d’enregistrer et d’accueillir les demandeurs d ‘asile – tout en refusant d’admettre qu’elle a une façade méditerranéenne…
Dans ce contexte, le Président de la République est aujourd’hui sous forte pression européenne pour inviter à annoncer que la France peut être plus ouverte et solidaire en matière d’accueil des demandeurs d’asile. Il ne s’agit pas seulement pour la France de faire œuvre de solidarité politique et humanitaire, à l’instar de l’Espagne de Pedro Sanchez. Il s’agit aussi pour Emmanuel Macron de rester fidèle au message de confiance délivré pendant sa campagne présidentielle – plutôt que de penser d’abord à la campagne des élections européennes de mai 2019. A cet égard, une part de son succès politique ne découle-t-il pas en effet de sa capacité à pourfendre le « franco-scepticisme », c’est-à-dire l’idée que notre pays est si faible qu’il n’a pas les capacités d’accueillir quelques milliers ou dizaines de milliers de demandeurs d’asile, fut-ce dans un cadre cohérent et collectif ? Faute d’oser souligner que « la France peut le faire », Emmanuel Macron privilégierait une posture de court terme qui ne pourra en tous cas que déconcerter ses partenaires européens, bien au-delà de l’Italie.
Egalement à l’ordre du jour du Conseil européen, la stratégie de négociation vis-à-vis des pays des Balkans occidentaux révèle une autre contradiction politique et chronologique française.
Emmanuel Macron a en effet récemment déclaré à Sofia qu’il s’opposerait à toute adhésion de ces pays tant que l’UE n’aura pas été réformée au préalable – déclaration à la fois classique et déroutante. Classique car elle fait écho au rejet français des précédents « élargissements », qui ont accru la concurrence économique et sociale, mais aussi battu en brèche la préférence hexagonale pour une « petite Europe » conçue comme une « France en plus grand ». Déclaration déroutante aussi, car les réformes institutionnelles liées à l’élargissement de l’UE ont déjà été adoptées, dans la douleur, grâce aux Traités d’Amsterdam, de Nice et de Lisbonne. Et surtout parce que l’éventuelle adhésion des pays des Balkans occidentaux n’interviendrait au mieux qu’à l’horizon 2025-2030, pour peu qu’ils se conforment à toutes les exigences de l’UE…
Ouvrir des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine n’empêcherait donc en rien d’obtenir au cours des prochaines années de nouvelles avancées ou « réformes » européennes, notamment en matière de sécurité collective, de régulation du marché intérieur ou d’intégration économique et monétaire. Pourquoi dès lors utiliser ces pays comme des boucs émissaires collatéraux, au risque de leur envoyer un signal négatif dont ne manqueront pas de tirer parti la Russie, la Turquie et la Chine ? Pourquoi ne pas plaider plutôt en faveur de ces lointaines adhésions qui représenteraient une « consolidation » plutôt qu’un élargissement de l’UE et, en stabilisant son flanc Sud-Est, donnerait un contenu concret à l’introuvable politique étrangère et de sécurité commune que la France s’échine à juste titre à promouvoir ?
Que le Conseil européen de Juin 2018 ne soit pas aussi décisif que souhaité n’est au fond pas si grave. A quoi servirait d’ailleurs d’organiser de salutaires « consultations citoyennes » sur l’Europe, puis de plus classiques « élections européennes », si tout devait être décidé avant que les Européens ne fassent pleinement entendre leur voix ? L’Europe ne s’est pas construite en un jour, elle doit aujourd’hui être sauvegardée, consolidée et approfondie – à défaut de pouvoir être « refondée »… Patience et constance, monsieur le Président !