Le « Plan de relance » européen : une belle rupture dans la continuité
Le « Plan de relance » de 750 milliards d’euros proposé par la Commission Von Der Leyen afin d’affronter la crise économique liée au coronavirus est une contribution historique, aussi bien en termes de solidarité entre les Etats-membres de l’UE que pour l’approfondissement de la construction européenne.
Baptisé « Next generation EU », ce Plan s’ajoute aux interventions décisives de la BCE (à hauteur d’au moins 1 350 milliards d’euros) et à d’autres apports financiers substantiels issus du budget de l’UE, de la Banque européenne d’investissement et du Mécanisme européen de stabilité (à hauteur de 550 milliards d’euros au total). Il traduit une « solidarité de fait » célébrant dignement les 70 ans de la lumineuse déclaration Schuman et qui s’impose aux Etats-membres pour préserver les « réalisations concrètes » que sont le marché unique et l’euro.
Les pays de l’UE ayant respecté leurs engagements en matière déficit et de dette publics disposent de davantage de marge de manœuvre budgétaires et ont moins besoin d’un tel Plan que l’Espagne ou l’Italie : mais ils devraient y consentir compte tenu de la forte interdépendance économique et monétaire des Européens, en s’aidant eux-mêmes en même temps qu’ils aideront leurs voisins.
Ce ne sera certes pas la 1ère fois que les Etats-membres de l’UE feront preuve de solidarité financière, puisque le budget communautaire l’incarne depuis des décennies, notamment en matière agricole et de développement local et régional. Ce ne sera pas non plus la 1ère fois que les Européens emprunteront ensemble, dès lors que la BEI, le MES et même la Commission européenne l’ont déjà fait. Mais ce sera la 1ère fois que les Etats-membres s’endetteront ensemble à un tel niveau, non pas seulement pour se prêter de l’argent mais pour le transférer des uns vers les autres. Ce pas en avant politique et budgétaire doit être salué et valorisé comme il se doit.
Si 2/3 des 750 milliards d’euros prévus par le Plan de relance sont bien des subventions, sa mise en œuvre contribuera à doubler l’ampleur des transferts financiers opérés par l’UE sur la période 2021-2023. Ces 500 milliards d’euros viendront en effet s’ajouter aux trois budgets annuels d’environ 165 milliards d’euros prévus dans le cadre des négociations du « cadre financier 2021-2027 », pour un total d’environ 2% du PIB de l’UE.
Puisque ce ne sont pas les dettes des Etats qui seront mises en commun au niveau fédéral, il ne s’agira pas d’un « moment hamiltonien » comparable à celui qui est survenu aux USA à la fin du 18ème siècle. Mais ce sera une étape marquante pour les Européens, qui doit encore entrer dans les faits grâce à l’accord des 27 chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’UE, puis de la ratification de l’ensemble de leurs parlements.
Le Plan de relance européen doit beaucoup à la proposition initialement formulée par la France et l’Allemagne, dont les leaders ont su rapprocher leurs positions au service de l’intérêt commun, sur la base d’un dialogue nourri et constructif. Comme à d’autres moments clés de la construction européenne, leur entente doit autant aux traditionnelles réactivité et inventivité françaises qu’à l’esprit de responsabilité et de solidarité jamais démenti de l’Allemagne.
Il est souhaitable qu’une même conscience de l’acuité des défis à affronter et le même état d’esprit rassembleur animent tous les responsables nationaux et parties prenantes de la grande négociation financière en cours. Et que cette négociation soit empreinte de respect et de compréhension mutuels, plutôt qu’empoisonnée par des anathèmes et des stéréotypes. C’est « unis la diversité » que les pays de l’UE pourront forger un compromis global, qui tienne compte des sensibilités nationales et des rapports de force partisans et institutionnels.
Il restera ensuite à espérer que ce compromis permettra le déboursement effectif et rapide d’une manne financière dont l’apport sera déterminant pour nombre de secteurs et de territoires de l’UE – comme pour sa résilience économique et politique.